Un cardiologue marche 800 km pour briser le silence sur la mort des soignants

Insolite Santé Tranche de vie ou Tranche de Cake ? Vie & Société
Temps de lecture : 4 minutes

Quand un cardiologue foule 800 km pour libérer la parole sur la mort

Une quĂȘte pour briser le tabou de la mort

Thibaud Damy, cardiologue Ă  l’hĂŽpital Henri-Mondor de CrĂ©teil, a chaussĂ© ses chaussures de randonnĂ©e pour une mission qui transcende les salles d’examen et les blocs opĂ©ratoires : sensibiliser Ă  l’impact Ă©motionnel de la mort sur les soignants.

Depuis le 30 mars 2025, il arpente 800 kilomÚtres à pied, de Dampierre à Toulouse, sur le GR 655, un chemin qui évoque les pÚlerinages mais porte ici un message bien plus terre-à-terre.
Ce n’est pas une quĂȘte spirituelle, mais une croisade pour libĂ©rer la parole dans un milieu oĂč les Ă©motions sont souvent relĂ©guĂ©es au second plan.

Je marche pour briser le tabou de la mort chez les soignants

confie-t-il Ă  la presse, les yeux brillants d’une dĂ©termination qui ne faiblit pas malgrĂ© les kilomĂštres.

Un cri du cƓur face Ă  l’omerta mĂ©dicale

Dans les hĂŽpitaux, la mort est une rĂ©alitĂ© quotidienne, mais elle reste un sujet qu’on esquive, qu’on enferme derriĂšre des portes closes.
Chaque année, 600 000 personnes décÚdent en France, dont 60 % dans des établissements hospitaliers.
Pourtant, seuls 20 % des patients en fin de vie bĂ©nĂ©ficient d’un accompagnement par des Ă©quipes spĂ©cialisĂ©es en soins palliatifs.
Les autres ? Ils sont pris en charge par des soignants souvent dĂ©munis face Ă  l’inĂ©luctable.

Thibaud Damy, spĂ©cialiste de l’amylose cardiaque, sait de quoi il parle. ConfrontĂ© Ă  la perte de patients sans formation adĂ©quate pour gĂ©rer ces moments, il a vu la culpabilitĂ©, le stress et l’épuisement ronger ses collĂšgues et lui-mĂȘme.

Il y a une culture de la rationalitĂ© dans le monde mĂ©dical, et parler de ses Ă©motions n’est pas admis

Une marche pour recueillir les témoignages

Son pĂ©riple n’est pas qu’un exploit physique. Il relie sept hĂŽpitaux – Chartres, VendĂŽme, Tours, Poitiers, Saintes, Bordeaux et Toulouse – pour organiser des dĂ©bats, des rencontres, des moments d’échange.
À chaque Ă©tape, il invite soignants, patients et familles Ă  partager leurs expĂ©riences.
L’objectif ? CrĂ©er un espace oĂč la parole se libĂšre, oĂč les larmes ne sont plus cachĂ©es dans les cages d’escalier, oĂč la culpabilitĂ© ne pĂšse plus comme un fardeau solitaire.

La principale Ă©motion chez un soignant quand un patient dĂ©cĂšde, c’est la culpabilitĂ©

explique-t-il.
Cette marche, c’est aussi une façon de cartographier les besoins et les innovations locales, de documenter ce qui fonctionne et ce qui manque cruellement.

Des Ă©tudes qui sonnent l’alarme

Thibaud Damy n’est pas seul dans ce combat. DĂšs 2021, il a contribuĂ© Ă  une enquĂȘte nationale menĂ©e avec la SociĂ©tĂ© française de cardiologie, rĂ©vĂ©lant que 83 % des soignants du cƓur ressentent un impact Ă©motionnel Ă©levĂ© face Ă  la mort de leurs patients.
Un quart d’entre eux souffrent de symptĂŽmes graves : stress post-traumatique, anxiĂ©tĂ©, dĂ©pression.

Ces chiffres, confirmĂ©s par un rapport de 2022, montrent l’urgence de former les professionnels de santĂ© Ă  affronter ces rĂ©alitĂ©s.

Si le soignant ne va pas bien, comment peut-il prendre correctement en charge les patients ?

interroge Rebecca Dickason, chercheuse Ă  l’universitĂ© Gustave-Eiffel.

Thibaud Damy – CrĂ©dit photo : Youtube

Changer les mentalités, un pas à la fois

Cette marche est aussi un plaidoyer pour intégrer la gestion de la mort dans les cursus médicaux.
Actuellement, les soignants apprennent Ă  sauver des vies, mais pas Ă  accompagner la fin.
RĂ©sultat : des Ă©quipes dĂ©semparĂ©es, des familles mal informĂ©es, des patients laissĂ©s dans l’ignorance de leur propre pronostic.
Damy et son association, Les SÛRvivants, militent pour un DiplĂŽme Inter-Universitaire sur la gestion de la mort, prĂ©vu dĂšs 2025, et pour une plateforme en ligne, www.lessurvivants.org, qui offrira des ressources aux soignants et aux familles.

Ce n’est pas une faiblesse de parler de ses Ă©motions, c’est une transformation

affirme-t-il, convaincu que reconnaĂźtre la douleur permet de mieux soigner.

Une dynamique collective pour panser les Ăąmes

En chemin, Damy ne marche pas seul.
Des soignants, des habitants, des familles se joignent à lui, parfois pour quelques kilomÚtres, parfois pour un débat.
À Chartres, il a animĂ© une confĂ©rence vibrante ; Ă  VendĂŽme, il a partagĂ© des moments intimes avec des soignants en EHPAD.
À Tours, le 14 avril, il a prlĂ© Ă  l’universitĂ©, espĂ©rant toucher les Ă©tudiants, ces futurs soignants qui doivent ĂȘtre prĂ©parĂ©s dĂšs maintenant.

Chaque Ă©tape renforce sa conviction : il faut crĂ©er une communautĂ©, un « collectif » oĂč la mort ne soit plus un tabou, mais une rĂ©alitĂ© qu’on affronte ensemble.

Je me sens plus soignant que jamais

confie-t-il, portĂ© par l’idĂ©e que l’émotion, loin d’ĂȘtre un frein, est une force pour avancer.

Un message qui résonne au-delà des sentiers

Cette initiative dépasse les frontiÚres des hÎpitaux.
En lançant trois enquĂȘtes nationales pour Ă©valuer l’impact de la mort sur les soignants, les patients et leurs proches, Damy veut donner une voix Ă  ceux qui souffrent en silence.
Il appelle les institutions Ă  reconnaĂźtre cette dĂ©tresse, Ă  financer des programmes de soutien psychologique, Ă  repenser l’organisation hospitaliĂšre pour qu’elle ne laisse plus les soignants seuls face Ă  leurs Ă©motions.

Sa marche, c’est un cri pour humaniser la mĂ©decine, pour rappeler que derriĂšre les blouses blanches, il y a des cƓurs qui battent, qui pleurent, qui ont besoin d’ĂȘtre entendus.



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